India Leire, célébration de la nature et chimères

-Johanna Beeckman-

The Cycle of life (Gaia) ©India Leire

Etranges sont les créatures que sculpte l’Anglaise India Leire. Entre attraction et répulsion, ses sculptures accordent une place centrale à la nature. Oniriques, organiques et monochromes, la frontière avec le rêve est mince. Les sens s’éveillent et les courbes deviennent sensuelles voire sexuelles.

C’est entre les murs de son atelier qu’India Leire a tenu à présenter son travail. D’emblée, on discerne une forme de rigueur pour la préparation de ses prochaines œuvres. Les matériaux y sont stockés de manière à être les plus accessibles et rien, à part le frottement de la filasse, ne semble briser le calme ambiant.

Silence, ça pousse

Venue d’Angleterre, pour étudier aux Beaux-Arts de Paris, l’artiste sculpte sans relâche depuis sa sortie avec comme source d’inspiration première : la nature. Telle une botaniste, India explore d’abord les forêts pour ramasser des jeunes pousses, fait des recherches dessus puis croque sur son carnet jusqu’à trouver une idée de future création. Tout part donc d’une pulsion presque anticipée découlant d’une pratique ritualisée. Une fois le projet trouvé, c’est le temps de l’atelier, son « refuge » comme la sculptrice aime l’appeler. Là aussi, il y a un moment de préparation méticuleux pour avoir tous les moules et les matériaux sous la main.

Habituée, durant son enfance, aux grands espaces et à une nature sauvage, India Leire veut célébrer cette dernière à travers ses sculptures.

« J’ai un amour pour la nature, les plantes »

Si les références à la nature sont parfois suggérées plutôt qu’explicites, c’est pour laisser à l’imagination la liberté d’interprétation. Les ondulations des feuilles se confondent ainsi volontairement aux courbes humaines.  De cette manière, l’artiste veut montrer la sensualité voire la sexualité qu’il existe dans la nature. Les fleurs se transforment en vulves. Par ailleurs, plus qu’un simple engagement pour l’écologie, India assume davantage sa volonté de créer un dialogue entre la nature et l’humain ; dialogue difficile dans nos sociétés contemporaines actuelles. La symbiose opère lorsque la sculptrice utilise la technique du land art et incorpore des jeunes pousses à son travail. En grandissant, les boutures deviennent des plantes, grimpent pour faire de la sculpture une œuvre à la fois pérenne et éphémère ; une œuvre vivante.

Toujours dans un souci pour l’écologie, elle utilise des matériaux écoresponsables tel que le plâtre qui peut se réutiliser à l’infini et la technique japonaise du saggar firing qui consiste à brûler des copeaux de bois pour colorer la céramique, matière majoritaire dans les sculptures d’India. En se détournant des émaux, l’artiste se rapproche ainsi au plus de la nature.

Zoantharia ©India Leire

Attraction-répulsion

Tout droit sorties d’un rêve, les sculptures d’India Leire ont quelque chose de captivant par la perfection des ondulations et de la surface ultra-polie contrebalancées par l’ajout de piques en céramique. Ces assemblages sont, selon l’artiste, un mélange entre l’animal et la botanique qui s’entrechoquent pour créer des Chimères, ces créatures fantastiques et malfaisantes dans la mythologie grecque. Inspirée par les livres Alice aux pays des merveilles (Lewis Carroll) et Le songe d’une nuit d’été (Shakespeare), l’artiste ne cache pas son goût pour l’absurde. Celui-ci transparaît justement dans ses sculptures par ce jeu d’attraction-répulsion. Grâce à ce dernier, la réflexion de la lumière se fait différemment que sur une surface lisse et augmente le mouvement. L’ajout de piques dépendra ainsi de l’intention d’India et de comment elle veut agencer l’espace.

« Parfois, il y a un concept derrière la sculpture qui nécessite une texture. D’autres, ont besoin d’être simples et pures ».

Oscillant entre la fougue typique des jardins anglais et une exécution très maîtrisée, les oeuvres de Leire envoûtent.

A Message to you all ©India Leire
Abyss (detail) ©India Leire

Le monochrome (presque) toujours  

Tout est pensé minutieusement dans le travail de l’Anglaise aussi bien dans le choix des matériaux, qu’elle veut éco-responsables, que dans la symbolique des couleurs. Si ses sculptures sont souvent monochromes c’est pour tendre vers une certaine pureté. Le blanc, lorsqu’elle utilise la céramique, permet de s’intéresser davantage à la forme et se convertit en un terrain de jeu pour la lumière qui « devient la couleur ». L’artiste associe également la couleur blanche à une dimension onirique et suggestive. 

« La couleur figerait trop la sculpture alors qu’avec le blanc, on peut s’imaginer ce qu’on veut ».

Composant majoritairement avec du bronze, de la céramique, des matériaux naturels ou du plâtre, la sculptrice s’aide généralement d’une pré-structure métallique pour les grands formats. Une fois l’idée du projet en tête, elle module la barre de métal pour lui donner la forme escomptée. Bien que les grandes sculptures soient plus physiques, India les préfère car elles permettent de créer une interaction directe avec le corps, à même échelle. Pour le temps de création, il faut compter entre deux et six mois en fonction du temps de séchage et de ponçage.

Maelstrom ©India Leire

Femme sculptrice

Inspirée par Barbara Hepworth et ses sculptures très épurées, lndia Leire a constaté que les femmes ont longtemps été minoritaires dans la discipline. Sans pour autant s’autoproclamer engagée, l’artiste assume davantage, dans ses dernières œuvres, la dimension féminine par les allusions aux corps et à la sexualité. En 2022, deux de ses sculptures abordaient le sujet des violences faites aux femmes.

Sisterhood ©India Leire

Mais, au-delà des questions de genre et d’engagement, créer est une nécessité pour l’artiste. Cela lui permet d’évacuer des émotions qui sont trop lourdes à porter et d’atteindre par la suite une forme d’apaisement.

Pour en savoir plus, retrouvez India Leire sur les réseaux sociaux.

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